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Bart Steukers: "Les données, l’acier et le charbon de la nouvelle normalité"

Le 9 mai 1950, le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman prononce un discours qui allait transformer l’Europe à tout jamais. Dans sa « déclaration Schuman », il appelle à la mise en commun des productions de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne. Une proposition ouverte à d’autres pays. Plus jamais la guerre ne pourrait mettre l’Europe à feu et à sang.

Aujourd’hui, 70 ans plus tard, nous faisons face au plus grand bouleversement économique et humain que l’Europe n’ait eu à affronter depuis ce jour. En quelques mois seulement, 150 000 personnes ont succombé au coronavirus en Europe. Cela reviendrait à rayer Mons et Verviers de la carte. Près de 1 500 000 personnes ont été contaminées, soit la population totale des provinces de Liège et du Brabant-Wallon rassemblées. Rétablir l’économie européenne coûtera nettement plus cher que le plan Marshall de l’époque, et ce même dans les conditions actuelles.

Chaque pays élabore sa propre stratégie de sortie de crise

L’Union européenne a accompli de grandes prouesses au cours des dernières décennies. Au cours des prochaines semaines, il est possible qu’elle soit contrainte de casser sa tirelire. Néanmoins, je ne suis pas certain que cela permettra d’obtenir le résultat escompté. Ouvrir ou fermer les frontières intérieures n’a de sens qu’en conservant une approche uniforme, indépendante des événements extérieurs. Les pays européens ne cessent de critiquer Trump pour sa politique « America first », mais n’hésitent pas aujourd’hui à se marcher les uns sur les autres pour obtenir des équipements de protection tout en refusant d’accueillir les patients malades des autres pays alors qu’ils disposent des moyens pour le faire. Chaque pays élabore sa propre stratégie de sortie de crise, souvent sans consulter suffisamment les autres pays qui l’entourent.

« Coordination et synergies » deux concepts au centre de l’histoire européenne… comme la technologie qui a toujours été pour l’Europe un vecteur de convergence et d’accélération de son projet politique… mais qui semble aujourd’hui oubliée au vu des initiatives nationales non-coordonnées face au défi du déconfinement .

L’appel du call-center viendra toujours trop tard.

C’est ainsi que la semaine prochaine, nos gouvernements commenceront enfin à tracer les contacts des malades, une tâche confiée à des agents dans des centres d’appels. Le coût de cette opération risque de s’élever à 150 millions d’euros, sans le développement d’une plateforme numérique. Une somme de 150 millions d’euros (!), qu’un petit pays qua la Belgique devra assumer seule. Cela représente des milliards d’euros si l’on englobe tous les pays et régions d’Europe, et ce uniquement pour le traçage des contacts. Quel sentiment éprouverait Schuman, que nos dirigeants et gouvernements semblent tant vénérer aujourd’hui, à la vue de cette situation ? Une grande stupéfaction, selon moi.

Pour moi, cela ne fait aucun doute : les données sont l’acier et le charbon de la nouvelle normalité. L’argent actuellement investi dans les centres d’appel aurait pu nous permettre de développer des centaines d’applications au fonctionnement bien plus rapide et ciblé. L’appel du call-center viendra toujours trop tard. Une application peut nous avertir si nous nous sommes trouvés à proximité d’un porteur du virus. Le dépistage et l’isolement des personnes infectées se dérouleraient donc plus rapidement. L’accent doit être mis sur le traçage du virus, et non des personnes. Je prône une approche uniforme en Europe, avec des applications compatibles avec celles des autres pays. C’est la seule façon de suivre l’épidémie et de l’endiguer. Près de neuf Belges sur dix possèdent déjà un smartphone. Notre pays peut montrer la voie en garantissant un respect strict de la protection de la vie privée et des données. Néanmoins, nous continuons à penser comme si nous vivions toujours au temps de Schuman. Sauf que lui était bien en avance sur son temps.

La Commission européenne peut aller beaucoup plus loin

Toutefois, la Commission dispose d'un droit d'initiative et peut donc en prendre l'initiative. J'ai plutôt l'impression qu'elle ne veut pas s'adresser au Conseil, aux États membres et au Parlement européen sur cette question sensible de la vie privée. Nous pourrions bien sûr jongler avec les compétences de chacun, mais aujourd’hui, les citoyens sont las des débats qui ne servent qu’à se renvoyer la balle. Ils veulent plutôt voir qui leur vient en aide lorsqu’ils en ont le plus besoin. La Commission apporte son soutien par l’intermédiaire de recommandations et de « boîtes à outils numériques ». Toutefois, à l’heure où les pays européens tentent tant bien que mal de développer des solutions de traçage modernes qui concilieraient protection de la vie privée, collaboration inconditionnelle et soutien de la population, la Commission pourrait assumer un rôle bien plus important. Et ce malgré le fait que cela ne relève pas de sa compétence « d’un point de vue technique ».

Le progrès ne doit pas être sacrifié pour autant…

Nous disposons déjà de la technologie nécessaire. L’industrie plaide à l’unanimité pour une solution décentralisée qui respecterait la protection de la vie privée et des données. Pourtant, les pays restent divisés. Certains pays ne savent pas très bien comment s’y prendre ou tergiversent (Belgique), d’autres avancent à tâtons (Pays-Bas), sont sur la bonne voie (Autriche), ou ont déjà débuté le dépistage à grande échelle (Suisse). D’autres encore ne parviennent pas à se décider entre un dispositif centralisé ou décentralisé (Allemagne) ou s’en tiennent à un dispositif centralisé (France et Royaume-Uni), mais menacent de se heurter à des questions de confidentialité ou d’être pris de vitesse par des initiatives de géants tels que Google et Apple. Tout cela pour se plaindre ensuite des choix stratégiques des autres pays...

Cette incertitude planant autour des fonctionnalités dont sera ou non pourvue une application, en l’absence de décision politique claire pour l’instant, ne fait qu’attiser les craintes d’atteinte excessive à notre vie privée. Nous vivons des temps incertains, mais le progrès ne doit pas être sacrifié pour autant. D’autant plus qu’il apparaît de plus en plus clairement que la technologie permet parfaitement de fournir les garanties nécessaires pour notre vie privée.

Pourquoi pas une seule application pour tous les pays de l'UE ?

En Autriche, près de six cent mille personnes utilisent déjà une application, avec l'aide de la Croix-Rouge. C'est donc possible. Dès lors, pourquoi ne pas franchir le pas et adopter une seule application de traçage et de contrôle de la distanciation sociale pour tous les pays de l’UE ? Une application qui serait accompagnée d’une campagne d’information (soutenue par tous nos politiques) pour accroître son succès et donc son efficacité. En Autriche, en quelques semaines, 15 % de la population participe volontairement à une telle initiative, soutenue par la Croix-Rouge. Chaque land, chaque citoyen de ce land, peut choisir d’y prendre part. L’application est personnalisée par land et par région.

Si l'UE ne prend pas d'autres initiatives, les pays peuvent tout simplement décider de joindre leurs efforts dans cette optique. Si vous demandiez aux passants dans la rue de citer un accomplissement concret de l’Union européenne, il y a fort à parier qu’ils mentionnent la suppression des frais d’itinérance. Cela fait trois ans que nous appelons, envoyons des messages et surfons à l’étranger à des tarifs nationaux. Allons-nous faire de l’introduction de l’itinérance du traçage des contacts un projet unique européen ? Les pays du Benelux vont-ils encore jouer un rôle de premier plan à ce niveau, comme ils l’ont fait lors de l’instauration de la CECA ? Ça ne serait en tout cas pas pour déplaire à Schuman.

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